Léonie

Constamment on me dit « ta vie ne fait aucun sens ». C’est bien vrai, ma vie manque considérablement d’organisation. Moi, Léonie, je manque considérablement de jugeote, parfois. Mais au fait, on en a quoi à foutre de l’organisation? Rien ne va jamais comme on veut, de toute façon. Personnellement, je veux juste être heureuse. Coûte que coûte.

C’est supposé faire peur, ne pas savoir où l’on va. Ce qui m’effraie davantage, c’est de m’enfoncer dans un avenir préconçu. Des réveils qui se ressemblent tous, à savoir exactement ce qu’il faut faire parce que depuis des années, les décisions ont été prises en fonction d’en arriver là… nah! C’est de la pure folie. Quand je ferme les yeux et tente d’imaginer ma vie, je me vois quitter mes emplois quand j’en ai plein le cul, faire du pouce et marcher d’un bout à l’autre du monde, additionner les gueules de bois, multiplier les rencontres, vivre partout, ouvrir mes horizons. Je veux passer ma vie à me poser des questions et tenter de comprendre ce qui est impossible pour tous de comprendre. Je ne veux appartenir à rien. Je veux appartenir à tout, être la mère de tous les enfants du monde. Je veux être libre d’aller jusqu’où je peux aller.

Y’a qu’un truc qui m’énerve – il y aura toujours quelque chose pour énerver quelqu’un -, c’est que j’aimerais trouver le grand amour. Mais pour ça, il me faudrait être un peu plus… comment dit-on? Un peu plus stable. Un truc dans ce genre. Soit! Je serai stable, je vais entrer en relation avec un certain « Moi intérieur » qui m’aidera à ne plus fréquenter le premier qui vient, seulement parce que je le vois comme un bon parti. Tout le monde autour de moi l’a bien compris : je ne sais pas pêcher. Les grands manitous ont pu lire une noyade dans mon avenir, si je n’arrête pas de chercher le bon poisson avec tant de désespoir!

C’est donc très enthousiasmé que j’ai décidé de partir en pèlerinage… en Arabie Saoudite. Eh oui ; c’est l’un des seuls endroits au monde où je pourrai me taire pendant 3 semaines, puisque je ne parle pas la langue officielle et n’ai probablement même pas le droit civil d’ouvrir ma grande gueule. Je me demande, en fait, si j’ai le droit de me rendre là-bas sans être accompagnée de mon Maître. Je m’informerai. Dans le pire des cas, j’en louerai un. Bah quoi ! Eux se louent bien des femmes, non ?

D’abord et avant tout, je dois avertir Emma que je la laisserai en liberté dans la jungle pour quelques semaines. Pauvre enfant, je me demande bien comment elle survivra. Je préfère encore m’imaginer le pire, ça m’évitera les mauvaises surprises. Elle aura au moins son mec pour lui tenir compagnie. Il est beaucoup moins amusant que moi, mais il fera l’affaire (il n’aura pas tellement le choix).

Emma… qui aurait cru qu’elle et moi serions de grandes amies. J’ai l’habitude de voir les filles comme elle juger les filles comme moi. Et j’ai l’habitude de voir les filles comme moi ridiculiser les filles ultra-rangées dans son genre. J’aime à croire qu’on est de sacrées bonnes personnes qui savent voir au-delà des apparences ! Sauf que j’admets être plutôt fière de l’avoir fait sortir de son moule. Ça suffit, les brunchs dominicaux avec la petite famille de bourgeois à la fin! Il faut sortir, il faut apprendre ce qu’est la vie.

L’annonce

Emma m’a invité chez elle, ça tombe pile poil! Je pourrai lui parler. Il est que 9 h 30, mais je pense que c’est le genre de « coming out » qui mérite un petit verre de blanc. Ou peut-être pas non plus. De toute façon, je pense que beaucoup d’entre nous ont déjà eu envie de prendre un coup à une heure dite inappropriée. C’est ce que je fais, je me dis que j’ai envie de prendre un petit coup. Ce qui me sépare du reste du monde, c’est que j’ai décidé de foutre la bouteille dans mon sac avec l’intention de ne pas regretter de m’en être privée.

Maudit temps de chien, maudit Montréal. On compte approximativement 12 000 chauffeurs de taxi ici, alors peut-on me dire pourquoi j’attends depuis 35 minutes ? Ah, le voici, le voilà !

- Bonjour m’sieur !

- Bonjour ma petite ! On va où comme ça ?

- Rue Saint-Grégoire, s’il vous plait.

- Saint-Grégoire… Saint-Grégoire. Vous savez comment on s’y rend?

Ah bien ça non ! Je descends de là tout de suite. S’il pense m’avoir. Il est hors de question que je me retape un trajet à 100 dollars. Une fois, c’est bien assez. Voire trop. Je préfère encore attendre une autre demi-heure plutôt que de revivre ce calvaire. Un plan que je recommence à fumer. Je pourrais prendre le métro aussi… quoique ça sent la mouette en chaleur là-dedans. Tant pis, on attendra le taxi. D’ailleurs, avec tout ça, il sera bientôt midi. Je pourrai prendre mon verre avec la conscience tranquille, finalement.

- Bonjour ?

- Salut, un taxi au Métropol. Coin René-Lévesque et Saint-Denis. Je vais accoucher, faite vite !!!

- Tout de suite madame !

La tête que fera le chauffeur quand il me verra avec mon ventre plat et ma bouteille de vin.

Enfin arrivée chez Emma, j’entre sans frapper. Tiens… la chambre de Sophie est vide ? Elle est peut-être en train de repeindre. Ou elle trouve ça plus Feng-shui sans ses meubles ? Ça ne m’étonnerait pas. Je la connais à peine, mais je trouve qu’elle a l’air d’une « fuckée ». Plus que moi, je veux dire.

- Emmy chérie!?
- Oui, Niny?
- Faut qu’on parle. C’est du sérieux.
- Tu vois, Léonie, à mes yeux t’as aucune crédibilité quand vient le temps d’annoncer un évènement sérieux. Je trouve que tes idées baignent surtout dans l’absurdité.
- Et toi, vois-tu, t’es carrément la personne la plus chiante que je connaisse. C’est notre relation qui baigne dans l’absurdité. Et puis, je m’en vais en Arabie Saoudite.
- Pardon?
- T’as compris mon annonce sérieuse.
- Tu ne vas pas faire ça? Tu dis ça pour rire? C’est juste pour de l’attention, encore? Parce que Dieu sait que t’aimes l’attention. T’es pas vraiment la maudite folle que je pense que tu es là.
- Oui, oui. Une vraie ostie de malade. J’m’en vais là-bas. Je dois revenir aux sources, Emma.
- What the fuck, quelles sources? T’as tellement pas rapport quand tu veux. Où est-ce que tu prends tes idées? Ça ne te tente pas d’aller au spa comme tout le monde?
- Écoute, je veux être plus saine! Tu comprends… c’est une quête spirituelle que je vais entreprendre. Comme ça, l’amour viendra à moi! Une personne saine vit assurément des relations fructueuses. C’est connu, ma vieille. Arrive en ville.
- Tant qu’à moi, le seul endroit où j’arriverai, ce sera à l’asile pour t’apporter de quoi te divertir. Juste à cause de ton idée débile, ça prouve que t’es IRRÉCUPÉRABLE. Si je ne t’aimais pas, je souhaiterais que tu te perdes dans le désert.
- Ah toi… petite bourgeoise. On ne t’aura jamais appris à être sensible. Tu veux qu’on aille manger quelque part? Ce sont tes parents qui paient.

Nous prenons place à l’Évidence, où je tente tant bien que mal d’expliquer à une Emma trop peu réceptive, les raisons pour lesquelles j’ai décidé de quitter le pays. Elle doit bien comprendre que je suis encore habitée par le fantôme de mon ex et ceux de mon passé ! Je dois faire le ménage, je ne peux pas passer ma vie dans ce « pattern » de marde, quand même. C’est beau de chercher le bonheur, mais quand on ne sait pas s’y prendre, ça nous amène parfois trop loin et on souffre.

- Hey, Em. Ne fais pas cette tête-là! Je vais revenir dans environ un mois! C’est presque rien. Puis il y a ta grosse bête aussi, vous pourrez forniquer sans trêve ; je ne te dérangerai pas en t’appelant à chaque 20 minutes.
- Niny… j’ai laissé Jo.
- Oh my God. On aurait donc dû rester chez vous et se saouler.

Emma

Comment dire? Je m’en vais vers un monde nouveau ? Ou plutôt vers la LIBERTÉ!!! Depuis que je suis toute petite, j’ai tout cuit dans le bec. Je suis Emma, fille unique de deux médecins, qui n’ont pas vraiment porté attention aux dépenses qu’ils faisaient et qu’ils font pour moi. Les meilleures écoles, les meilleurs clubs sportifs, les meilleurs clubs de science, les meilleurs entraîneurs, etc. Je crois que vous avez compris le concept. Tout ce qu’un enfant rêve, quoi! Mais après un moment, assez c’est assez.

Comment se détacher de cette vie « sale » comme ma meilleure amie, Léonie dirait? En faisant le contraire de ce que mes parents me conseillent? Quelle bonne idée!

Au début, tout allait bien. J’ai suivi Léonie et mon « chum » Jonathan à Montréal pour aller étudier à l’université. Mes parents voulaient plutôt que j’aille à Québec. D’accord, je n’ai pas fait tout le contraire de ce que mes parents voulaient pour moi. Je me suis inscrite en médecine. Par contre, pas en médecine générale, non. J’ai plutôt décidé d’aller en médecine sportive, ce que je voulais vraiment faire. Un rêve! Vous imaginez ? Travailler avec des athlètes, de haut niveau ou pas, de rencontrer pleins de monde de ma profession, avoir des soirées et faire pleins de voyages si le poste le demande? Pincer moi quelqu’un!!!

Mon choix n’a pas déplu pour autant à mes parents. Ils me payent mon appartement et les dépenses qui attraient à mes études. Que voulez- vous? Ils m’aiment!

Par contre, tout s’est gâté. Deux mois après le début de mon premier trimestre et de libertinage dans cette grande ville, j’ai eu de mauvaises surprises. Ma meilleure amie quitte le pays pour faire une quête spirituelle, du n’importe quoi. C’est surement sa dernière rencontre qui lui a mise cette idée dans la tête. Et aussi, j’ai surpris mon « chum » en train de me tromper! Avec ma « coloc » en plus!!! Alors vous devinez bien que je les ai « câlissé » dehors! Les deux!

Alors, je me retrouve sans « chum » et sans meilleure amie. Seule. Dans un appartement trop grand, dans une ville trop grande et qui plus est, n’était pas mon premier choix. Je voulais aller à Québec!

Mais bon, j’ai commencé ici, à Montréal. Léonie ne sera pas partie éternellement. Pendant ce temps, qu’est-ce que je fais? Je me trouve une « job », pour m’occuper ? Non, meilleure idée! Pourquoi ne pas m’enfermer dans mon appartement, me coucher en boule dans mon lit, en dessous des couvertures, en espérant que la Terre arrête de tourner? Bonne idée! Mais, est-ce que j’ai assez de réserve de chocolat? De crème glacée? Et de film de fille?

Prologue

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